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Pendant le Festival OFF d'Avignon, la ruée vers l'or des tracteurs

Au mois de juillet, les rues avignonnaises se transforment en jungle de papiers. Les affiches couvrent les murs de la ville et les tracts pleuvent sur les festivaliers. Le tractage est le nerf de la guerre du festival OFF. Et les jeunes locaux en profitent.

Des jeunes recouvrent les murs avignonnais d’affiches pour des spectacles du OFF. © AFP


« En un été, je me suis fait 3 200 euros sur trois semaines », lâche Ponce, alias Aurélien Gilles, aujourd’hui streamer et originaire d’Avignon. Une anecdote qu’il livre sur Youtube, dans une vidéo qui cumule 120 000 vues. Il avait 14 ans lorsqu’il a travaillé pour la première fois au festival. Le fait d’être mineur n’est pas toujours un frein. « Pendant un mois à Avignon, il n’y a pas de lois », rigole-t-il.


Si la chose n’en reste pas moins illégale, elle semble effectivement banale. Valentin, lui, a commencé lorsqu’il avait 16 ans. « Quand on est jeune, on fait essentiellement du tractage. C’est, bien évidemment, du travail dissimulé . » Certaines compagnies théâtrales sont prêtes à tout pour tracter. Il s’agit du nerf de la guerre dans le festival OFF, qui comporte plus de 1 500 spectacles sur trois semaines. Il faut donc se démarquer. « Le tractage a un effet direct sur les gens qui viennent au festival, confirme Sébastien Benedetto, ancien président du OFF. Mais il faut qu’il soit bien fait, par des gens qui connaissent la ville. »


Trois options de tractage pour les compagnies


Lorsqu’une troupe se lance dans la communication de son spectacle via le tractage, elle a généralement trois options qui s’offrent à elle.


La première : la débrouille. Les troupes tractent elles-mêmes. C’est moins cher, mais plus fatiguant et pas toujours efficace. C’est l’option retenue par les amateurs. Et généralement écartée très vite par les compagnies extérieures à Avignon, comme celle des Flagrants Délires, venue de Bretagne en 2018. « On ne connaissait personne sur place, et notre rythme de jeu faisait qu’aucun comédien ne trouvait le temps de tracter en plus », explique Dominique Le Lay, le président de la troupe.


La deuxième option est de passer par une agence. Elles sont nombreuses à dédier tous leurs efforts au festival. Elles permettent le travail de jeunes de manière légale. C’est souvent la solution conseillée par l’organisation du OFF. Mais ce cas de figure est mis à mal par la dernière option.


Reste le travail dissimulé. Il est porté par certains Avignonnais, qui plutôt que travailler sous contrat, préfèrent être à leur compte. « Nous, c’est l’option qu’on a choisi, car elle permettait de faire tracter quelqu’un qui connaissait la ville et de négocier un tarif directement avec cette personne, plutôt qu’avec une agence, explique Dominique Le Lay. On n’a pas été déçu du résultat. »


Le guide du parfait tracteur


À cause de la pénibilité du tractage, qui se fait parfois pendant plusieurs heures sous un soleil de plomb, ce sont souvent les jeunes qui se dévouent pour réaliser cette tâche. Mais en respectant certaines règles d’or.


Il faut d’abord être malin avant d’accepter une offre. Surtout pour ceux qui préfèrent l’option de travail dissimulé. « Au départ, je proposais toujours 10 € de l’heure, peu importe la troupe, explique Valentin, qui a tracté pendant cinq années consécutives, de 2006 à 2011. Mais en discutant avec des amis, qui faisaient pareil, certains arrivaient à négocier jusqu’à 20 € de l’heure. »


« Certaines compagnies ne font pas attention aux prix. Ils se disent peut-être que, si c’est dissimulé, c’est forcément rentable », analyse Ponce, qui a fait ce job étudiant de 2004 à 2011, pendant sept ans. Mathys, qui lui a tracté pour la première fois en 2021, ressent la chose différemment : « On sent que pour certaines troupes, c’est le spectacle de leur vie. Alors elles sont peut-être mal renseignées et pensent que, quoiqu’il arrive, ça sera cher et elles y mettent le prix, vu l’enjeu. »


Les jeunes ne sont pas non plus toujours là pour s’en mettre plein les poches. « Quand je trouvais que certaines compagnies amateures avaient un talent fou, je proposais un tarif à hauteur de leur budget, et je me donnais toute la journée pour elle », raconte Ponce. Mais avec un effet boule de neige attendu : « Quand une compagnie est satisfaite de ton travail, elle revient vers toi l’année suivante. Et dans le meilleur des cas, elle te conseille même auprès d’autres. » Jusqu’au point culminant pour certains tracteurs ambitieux : devenir chef d’équipe. Pour Ponce en 2011, il le devient pour Arnaud Tsamère. « En un coup de fil, j’ai donné plusieurs emplois à mes potes pour les 3 semaines de juillet. »


Savoir tracter est aussi tout un art, après s’être bien préparé. « Le mieux, c’est proche d’un bar, détaille Louis, qui a tracté pendant trois ans, de 2015 à 2018. C’est un lieu public, de passage, et il permet un rafraîchissement quand il fait plus de 30 degrés. « Le plus important, c’est la médiation et la relation humaine », avance de son côté Sébastien Benedetto.


Quoiqu’il arrive, le tractage est une jungle complexe à réguler, de l’aveu de l’organisation : Même chose pour les affiches : « La mairie a ainsi imposé une limite de 150 par compagnies. Mais c’est presque impossible à vérifier », explique Sébastien Benedetto. La question écologique, de plus en plus présente, va peut-être nettoyer la jungle.

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