top of page

Violences sexuelles : le Festival d’Avignon à la traîne

Près d’un an après #MeTooTheatre, le festival d’Avignon peine à mettre en place des dispositifs efficaces et ambitieux contre les violences sexistes et sexuelles.


Depuis l’explosion du mouvement #MeToo en 2017, des déclinaisons ont vu le jour dans tous les secteurs : #MeTooTheatre, #MeTooCuisine, #MeTooMedias… Illustrant le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles. © Wikimedia / Wolfmann


« Pendant le Festival d’Avignon, un producteur de théâtre m’embrasse de force pendant de longues secondes alors que j’essaie de le repousser. Il s’est excusé quelques minutes plus tard : "désolé, je croyais que tu étais comédienne" », écrit la journaliste Rauma Nolhent sur Twitter. « J’ai 25 ans. Au Festival d’Avignon, un metteur en scène associé au Théâtre National de Strasbourg me coince dans un coin et insiste pour m'embrasser. J'arriverai à tourner la tête mais il le fera tout de même », confiait une autre femme sur le réseau social en 2018.


Des témoignages comme ceux-là, on en trouve plusieurs sur Twitter. Sous le hashtag #MeTooTheatre, des femmes racontent encore les violences sexistes et sexuelles qu’elles ont subies pendant le rendez-vous annuel de la Cité des papes. Lancé en octobre dernier, le mouvement dénonce le sexisme qui règne dans le milieu du spectacle… Et le festival n’échappe pas aux accusations. « Après le #MeTooTheatre, le Festival d'Avignon va-t-il s’emparer de la question des violences sexistes et sexuelles ? », s’interroge Marie Coquille-Chambel, critique de théâtre et instigatrice du mouvement, dans un tweet. Rien n’est moins sûr.


Pas un sujet de débat


Pour preuve : dans le cadre des « ateliers de la pensée », proposés au grand public cette année, aucun débat ne sera proposé sur ce sujet, sur plus de 60 rencontres organisées sur de nombreuses thématiques. Trois ateliers seront tout de même prévus pour les employeurs et les professionnels par Audiens, groupe de protection sociale de la culture, et la CGT spectacle. Au programme : état des lieux des violences sexistes et sexuelles, rappel des obligations légales et de la cellule d’écoute, perspectives d’avenir... Mais aucune mention de #MeTooTheatre.


Les propositions restent pauvres quand on mesure l’urgence du problème, et le poids des témoignages. « Cette année, il y a des débats sur « l’universalisme à l’épreuve des tensions identitaires » et le métavers… Mais rien sur les violences sexistes et sexuelles, alors que #MeTooTheatre a été un mouvement social national l’année dernière », s’agace la militante Marie Coquille-Chambel.


Paul Rondin, directeur délégué du IN, tente de se justifier plus ou moins habilement : « Si je proposais un spectacle sur les violences sexistes, personne n’irait, lâche le bras droit d’Olivier Py, dont le discours oscille entre calme et crispation. Ce n’est pas comme ça qu’on amène le sujet. » Pour argumenter son point de vue, il s’appuie sur un débat organisé à ce sujet l’année dernière, qui n’aurait, selon lui, « pas rencontré un franc succès ».

C’est un peu mieux au OFF d’Avignon, où l’on prévoit une journée entière consacrée aux violences sexistes et sexuelles au « village du OFF », le 16 juillet. Des membres de #MeTooTheatre seront notamment invités pour une intervention. Et il y sera peut-être question des moyens investis par la direction du festival pour lutter véritablement contre ces comportements.


Un pouvoir d’action limité


Car il est plus difficile d’agir pour le OFF que pour le IN. La programmation des pièces est décidée par les théâtres, et il n’est donc pas possible pour l’association du OFF de mettre à l’écart de potentiels agresseurs. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles repose donc sur le bon vouloir des théâtres. « On leur propose des formations de sensibilisation, mais le nombre de théâtres qui y participent est anecdotique », admet Chloé Suchel, chargée de la communication du OFF.


Également référente sur les questions de violences sexistes et sexuelles, elle n’a à ce jour jamais reçu de signalements. Concernant le OFF, la militante du collectif #MeTooTheatre Marie Coquille-Chambel estime également qu’il faudrait des référents « dans chaque théâtre, et chaque production ». Mais elle est lucide. « Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de victimes. »


L’année dernière, trois signalements sont parvenus à la direction du festival du IN à Avignon pour des « agissements sexistes », explique Ève Lombart, administratrice du festival. Après avoir mené une enquête interne, la direction a décidé de ne pas reproposer de contrat à l’un d’entre eux, et un autre a été reconduit car l’enquête n’a pas permis d'établir la véracité des faits. Le troisième, quant à lui, a décidé de démissionner avant même qu’une procédure ait lieu. Mais Ève Lombart admet que son pouvoir d’action est « très limité ». Les personnes travaillant au festival étant essentiellement en CDD lors de la période du festival, il reste difficile d’intervenir durant la période de leur contrat.


Mais avant de faire remonter des signalements, encore faudrait-il que les victimes sachent comment en faire un. Et à qui en parler. Marie* travaille tous les étés dans l’équipe d’accueil du IN depuis 2018. Pour la première fois, des collègues lui ont rapporté des faits de violences sexuelles l’année dernière. « Je ne savais pas à qui m’adresser », explique-t-elle. Bien que des référents CSE aient été mis en place en 2019 au festival, pour accueillir la parole des victimes, aucune structure physique n’existe, et la procédure de signalement n’est pas suffisamment connue.


Une « mauvaise blague »


Outre l’instauration de référents, le festival IN a mis en place des mesures - ou des mesurettes - pour lutter contre ce fléau. Pour la première fois cette année, toutes les équipes du festival (administration, technique, billetterie…) recevront ainsi une sensibilisation obligatoire d’une heure trente sur les violences sexistes et sexuelles, organisée par le Planning familial. Au festival du OFF, c’est le double : les saisonniers recevront une formation de 3 heures par des associations comme les Catherinettes, qui interviennent en milieux festifs.


Une nécessité au regard de la situation et des témoignages de victimes. Sur Twitter, une femme raconte avoir subi du cyberharcèlement sexuel de la part d’un régisseur et d’un chorégraphe reconnu. Terrorisée de les croiser, on lui a rétorqué que c’était une « mauvaise blague ». Ève Lombart constate également le besoin de rappeler les limites de ce qui est acceptable ou non. Dans les entretiens menés avec les accusés visés par les signalements l’année dernière, l’administratrice du festival affirme avoir vu de la « surprise » et de la « déstabilisation » dans leurs yeux lorsqu’elle rapportait les faits qui leurs étaient reprochés.


Malgré ces différents dispositifs, Chloé Suchel considère qu’il faut poursuivre les efforts pour que des témoignages continuent d’émerger. « C’est une lutte permanente. » Car le chemin est encore long, avant que la parole des victimes soit prise au sérieux. Et il suffit d’écouter les propos de Paul Rondin pour s’en rendre compte.


Le directeur délégué du IN martèle « avoir du mal avec les "tribunaux populaires" ». Et assure, serein que, « le jour où un juge dira qu’une accusation était fausse et que c’était de la pure agression de la part de #MeTooTheatre, ça va faire disparaître le mouvement ».


*Le prénom a été modifié.


Comments


bottom of page