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Festival OFF d'Avignon : le fric ou l’éthique ?

Dernière mise à jour : 27 juin 2022

Créé en 1966, en réaction à la programmation jugée élitiste du Festival d’Avignon, le OFF est ouvert à tous les comédiens, laissant le public seul juge d’une mauvaise ou d’une bonne pièce. Mais, ces dernières années, ce fonctionnement a atteint ses limites.

En 2019, le festival OFF a battu le record de 1 592 spectacles présentés par jour. © Aubert GUINAMARD


« Le OFF est un miroir aux alouettes », soutient Sylviane Messonnier, numéro deux d’un des principaux théâtres privés d’Avignon, le Balcon. L’adresse est l’une des rares scènes conventionnées de la ville et les candidatures pour y jouer durant le OFF s'accumulent. Mais parmi les centaines de propositions de pièces que le lieu reçoit, seule une petite dizaine est retenue pour le mois de juillet. « Il est impossible d'accueillir plus de monde sur les planches puisque le théâtre n’a que 200 places », ajoute l'administratrice du Balcon. Une situation partagée par les autres salles historiques du quartier, comme Les Trois Soleils ou La Luna, situées à moins de 300 mètres de là.


Si le OFF attire autant de professionnels, c’est qu'il prône l’ouverture à tout le monde. En clair : qui peut payer, peut jouer. C’était l’objectif de son initiateur, André Benedetto en 1966. Il déplore alors la direction prise par l’administration du festival de Jean Vilar (qui deviendra par la suite le IN, NDLR). « Elle ne retenait plus que des pièces avant-gardistes et au discours polissé », nous explique son fils, Sébastien, ancien président de l’association Avignon Festival et Compagnies qui encadre le OFF. André, jeune directeur du théâtre des Carmes crée donc un festival où chaque directeur de salle est libre de sa programmation. Mais puisqu’il a été voulu sans aucune instance de régulation, l'événement voit, au fil du temps, le nombre de ses spectacles exploser. Cette tendance s’est accentuée ces dernières décennies, passant d’une quarantaine de pièces présentées dans les années 1970 à 1 500, selon les prévisions pour l’édition 2022.


Malgré la multitude de troupes, un passage par le OFF est « indispensable » pour tout comédien, explique Isabeau de Richoufftz de Manin, humoriste qui compte six passages sur les planches avignonnaises. L'événement est devenu le lieu de rencontre principal des professionnels du monde du théâtre. « C’est à ce moment-là que les troupes défendent leur jeu devant les producteurs et signent les contrats pour les années à venir. »


Un marché financier qui attire les investisseurs


Face à l’affluence de comédiens prêts à investir pour une participation à Avignon, un business s’est développé autour de leur venue. Certains propriétaires avignonnais ouvrent des scènes dans des lieux où les conditions d'accueil du public « laissent franchement à désirer », témoigne Isabeau. En 2006, elle présente sa première pièce dans une cave « où la sortie de secours se trouve en haut d’un escalier en colimaçon ». Thibaud Houdinière, jeune codirecteur du théâtre Actuel a le souvenir d’un de ses amis se produisant « dans un garage sans climatisation sous 35 degrés à l’extérieur ».


« Ce sont souvent les jeunes compagnies qui acceptent les représentations dans des lieux peu recommandables », nous explique Thibaud Houdinière. « Puisque c’est sur la réputation que se fait la sélection des troupes, les novices ont moins de chance d'être retenues dans de bonnes adresses. » « Mais il existe des pistes pour endiguer cette tendance », enchaîne spontanément le quarantenaire. Il plaide pour un tarif de participation au OFF différent pour les troupes en fonction de leur ancienneté, avantageant les débutants. Une solution déjà expérimentée avec l'accueil de jeunes compagnies en résidence aux Carmes et à la Factory. Pour le directeur de cette dernière, Laurent Rochut, interrogé par le site spécialisé Sceneweb, aider les néophytes présente un sérieux avantage : mieux répartir l’offre artistique en ayant des spectacles « à diffuser tout long de l’année ».


Depuis plusieurs années, les pompiers s’assurent de l’état de chaque salle déclarée, mais la fraude persiste. « Des salles officiellement de 19 places peuvent facilement se transformer pour accueillir 50 spectateurs », assure Isabeau. « Ce modèle de toutes petites scènes foisonne dans la Cité des papes car les normes sont bien plus souples pour elles », ajoute l’ancien président du OFF Sébastien Benedetto. Pour Antoine de Baecque, critique de théâtre et auteur d’Histoire du Festival d'Avignon, paru en 2016 chez Gallimard, « l’avenir du OFF doit passer par un meilleur répertoriage des pièces et des salles ».


Toujours dans cette logique de rentabilité des théâtres, certains très grands lieux, comme le Palace, qui compte 765 places, préfèrent une programmation avec des têtes d’affiche qui leur assure la réussite : l’affluence du public. L'enquête menée par le Centre Norbert Elias de l’université d’Avignon en 2016 auprès du public leur donne raison : 66% des sondés expliquent avoir fait leur choix en se basant sur les noms des vedettes à l'affiche, contre 8% en se basant sur la critique.


Le Palace est le plus grand théâtre au sein du festival OFF d'Avignon avec cinq salles, dont la plus spacieuse peut accueillir 350 spectateurs. © Le Palace



Le OFF n’échappe pas aux travers du capitalisme, car le monde du théâtre peine à trouver un modèle financier viable. Les subventions versées par les collectivités aux salles avignonnaises sont très inégales. « Les six théâtres conventionnés ouverts à l’année se partagent 400 000 € de fonds de la région PACA, du département Vaucluse et de la municipalité, détaille le programmateur des Trois Soleils. Mais en réalité ils sont près d’une vingtaine d’autres également permanents, mais ils ne touchent que 25 000 €. » Les aides représentent pourtant l'essentiel des finances des théâtres d’Avignon. À l'adresse historique des Carmes, le repère de la famille Benedetto, la billetterie n’assure ainsi que 15% des recettes du lieu, tout le reste étant lié aux subventions.


À ces difficultés s’ajoute la forte hausse des prix de l’immobilier qui plombe le modèle économique des salles. En trois ans, ils ont augmenté de plus de 22%, ce qui entraîne une explosion des coûts pour l’ensemble de la chaîne du festival OFF, tant pour le loyer des salles que pour le logement des troupes. Cette conjoncture alimente la logique financière des directeurs de salles.


Revenir à un nombre raisonnable de spectacle et des propositions « plus intellos »


Si les artistes sont aussi nombreux durant les trois semaines du OFF, c’est que les traditionnels comédiens ne sont pas seuls. Tous les spectacles vivants sont représentés : la danse, les arts du cirque… Ces genres éloignés du traditionnel théâtre shakespearien trouvent légitimement leur place pour certains, comme Gilles Petit, producteur et président du syndicat des professionnels du spectacle musical et de variété. « Dans la création contemporaine, la frontière entre les genres est poreuse », justifie celui qui chaque année présente du stand-up ou du hip-hop à Avignon. Mais ces artistes du spectacle vivant viennent gonfler un peu plus l’offre déjà saturée d’Avignon. L'enquête commandée par AF&C en 2014 souligne que l’humour représente 14 % de la programmation du festival et la chanson 10%.


Conséquence de l’affluence des comédiens et de la marchandisation des locations de salles : certaines programmations ne se construisent désormais plus qu’autour d’intérêts financiers. Une stratégie au détriment de l’image du festival puisque les comédiens ne sont plus jugés sur la qualité de leur spectacle, mais sur leur capacité à trouver des investissements suffisants pour s’offrir une salle. « Dans les années 1980 et jusqu’en 2000, le rendez-vous est devenu la foire au n’importe quoi, déplore Antoine De Baecque, avec des one-man shows débiles. »


Comment faire ? Il faut « virer » le théâtre amateur, tranche ce dernier. Les équipes professionnelles et les collectifs bénévoles se retrouvent sur un pied d’égalité. Pourtant les uns sont payés au SMIC et les autres montent sur les planches gratuitement. Leurs coûts de fonctionnement sont donc radicalement différents. Cette « concurrence déloyale » pourrait être corrigée par la création d’un nouveau festival, différent de celui existant.


Des réformes impossibles ?


Arrivé à la présidence du OFF au début de l’année 2021, Sébastien Benedetto tente d’instaurer un rapport de force en faveur des troupes. Mais il découvre vite qu’il ne parviendra pas à changer la politique du festival. Et pour cause, l'événement n’a jamais eu une administration forte, contrairement au IN. Le combat contre la marchandisation de l'événement que mène le fils du fondateur au moment de sa nomination lui vaudra de vives tensions avec certains membres du conseil d’administration de l’association, comme Harold David et Laurent Domingos, qui forment désormais le nouveau duo à la tête du OFF. Eux, défendent une logique financière favorable aux salles.


Parmi les pistes discutées durant États généraux du OFF, certaines prévoient la tenue d’une édition chaque année dans une ville différente pour désengorger la Cité des papes. © Festival OFF


Des tentatives de concertation entre les différents acteurs du festival existent pourtant, à l’instar des États généraux du OFF, lancés en septembre 2020. Ils réunissent autour de la table des artistes, techniciens, administrateurs et directeurs de théâtres. La mesure la plus symbolique actuellement discutée est la création d’un label décerné aux lieux « vertueux » : ceux qui veillent à la rémunération des comédiens, aux bonnes conditions d'accueil des troupes et du public, et qui accompagnent les jeunes équipes. Mais deux ans après leur lancement, ces discussions n’ont toujours pas abouti à un vote. Preuve que la grande réforme du festival libre d’André Benedetto n’est pas pour demain.

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