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Damien Malinas : « Le Festival d'Avignon est plus populaire que le théâtre lui-même »

Le sociologue Damien Malinas étudie le public du festival depuis 1997. Il explique pourquoi Avignon reste un événement unique.


Damien Malinas, maître de conférence à l’Inseac du Cnam, a longuement travaillé sur les publics du festival. ©Twitter


Le Festival d’Avignon connaît son public. Damien Malinas, maître de conférence à l’institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle (Inseac) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), est sûrement le mieux placé pour en parler. Il participe à des enquêtes sociologiques sur ce public depuis près de 25 ans. Pour le chercheur, le festival a su évoluer pour conquérir un public plus jeune et fidèle.


Vous dites qu'à Avignon, on devient "festivalier". Qu'est-ce que cela signifie ?


La spécificité du public de festival est le fort sentiment de communauté. Aller au Festival d’Avignon consiste à s’approprier une identité, celle de festivalier. Cette identité va au-delà de la simple fréquentation de l’équipement culturel qu’est le théâtre. On reste festivalier à l’extérieur, quand on boit un café, quand on fait la fête ou quand on débat.

Avignon, c’est une éternelle effervescence au mois de juillet …


Oui, et le mot « effervescence » est très important. Le sociologue Emile Durkheim l'employait. Il disait que dans les rites, la question de l'effervescence est quelque chose d'important. Le Festival d'Avignon est particulièrement effervescent car il est très long : trois semaines.


« Avignon a inventé un modèle de festival »

Jean Vilar, le fondateur du festival, avait pour objectif, dès sa création en 1947, de faire venir un public populaire. Avait-il réussi?


Dès son origine, le festival s'est constitué autour de ses publics. Dès 1947, Jean Vilar énonce sa volonté de mélanger dans les travées du théâtre, l'ouvrier, le juge, le boutiquier. C'est un public qui s'intéresse à lui-même. En 1964, Jean Vilar s’interroge car il a un objectif à atteindre : faire venir un public populaire. Alors que cela fait 20 ans qu'il parcourt tous les comités d'entreprises, qu’il se déplace dans les usines pour dégoter des festivaliers, il aboutit à un constat dans la préface de son enquête. Il y écrit : « Il y a une ombre au tableau, je vous laisse la découvrir ». Cette ombre, selon lui, était la présence de seulement 2 % d'ouvriers au festival d'Avignon. Pourtant, cela restait tout de même beaucoup par rapport aux autres pratiques culturelles, puisque dans les autres festivals et les autres salles de théâtre, il n’y avait pas d’ouvriers du tout !


Aujourd’hui, le festival accueille 8 % d’employés et ouvriers. C’est plus qu’ailleurs…


Oui, on peut dire que ce n'est pas assez, que ce n'est pas représentatif, mais c'est pourtant le festival le plus populaire. Avignon est très singulier. Cela a aussi initié un modèle de festival. Souvent les festivals sont plus populaires que les pratiques dont ils sont issus. Autrement dit, le Festival d'Avignon est plus populaire que le théâtre lui-même. L’autre spécificité d’Avignon depuis la fin des années 1960, c’est le goût du débat. Mai 68 ne se termine pas par hasard à Avignon, parce que c'est l'endroit où l'on parle. On discute de culture, de société. C’est un festival très politique.


« Quand les gens font une première fois l’expérience du Festival d’Avignon, ils y retournent toute leur vie »

On dit souvent que le IN est plus élitiste que le OFF. Est-ce vrai?


La grande majorité du public pratique les deux. Il ne faut pas les opposer. Le festival IN va structurer le séjour, y compris pour des raisons très pratiques : il faut réserver. En proportion, le spectateur voit le plus souvent une pièce dans le IN pour quatre spectacles dans le OFF. Ce qui ne veut pas dire que l’un ou l’autre soit plus important, mais ce n’est pas la même manière de consommer, pas la même intensité. Toujours est-il que les deux publics ont le même profil social, le même niveau de diplômes, etc.


Mais ils ne vont pas voir la même chose, et c’est un piège pour les sociologues. Nous devons nous intéresser aux données du public, mais il ne faut pas oublier qu’il y a du théâtre au milieu. Les théâtres du OFF ne proposent pas la même chose que la cour d’honneur (la plus prestigieuse des scènes du festival, NDLR) du Palais des papes. L’événement global d’Avignon réside dans une circulation des publics. Le OFF a longtemps été plus jeune. Maintenant, grâce à une politique d’éducation artistique et culturelle, d’accès à la culture, c’est l’inverse. Le IN a pris conscience plus tôt du problème de vieillissement de son public et a adapté son offre tarifaire et son esthétique. Avant, on allait du OFF vers le IN, maintenant, beaucoup de jeunes commencent par le IN et vont vers le OFF. Le vieillissement est plutôt du côté du OFF pour l’instant.


Comment les jeunes ont-ils repris le chemin du festival ?


Il y a eu pendant très longtemps un problème sur la présence des étudiants pendant le Festival d'Avignon, pour une raison rencontrée par beaucoup de villes culturelles et touristiques : la pression du logement. Une partie des étudiants locaux partent pendant le Festival d'Avignon. Certains sont mis à la porte par leurs propriétaires. D’autres sous-louent leur appartement. Cela a évolué avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller (respectivement directrice et directeur du festival de 2003 à 2013) et Olivier Py (directeur du festival depuis 2013 et jusqu'en 2022 inclus).


Ce dernier a eu une adresse particulière au monde universitaire et étudiant. Comment attirer à la fois les jeunes et tout ceux qui n'iraient pas naturellement au théâtre ? Le festival d'Avignon se voulant un lieu d'éducation populaire, un travail est réalisé pour que l’école ou d’autres actions publiques donnent envie d’aller vers la culture. En général, à Avignon, le public est plutôt issu de la classe moyenne, et les spectateurs n’hésitent pas à investir un gros budget, pour se payer des places de théâtre, manger, se loger …


La particularité du Festival, dites-vous, c’est qu’on le fréquente en fait toute sa vie …


Tout d’abord, il faut en être très heureux. Il existe des tas de pratiques, et de festivals, comme à Cannes, où quand nos corps vieillissent, on est mis à la porte. Au contraire, Avignon est un festival que l’on peut pratiquer tout au long de sa vie. Mais depuis quinze ans, le public a rajeuni. La moyenne d’âge a augmenté au XXe siècle, partant de 29 ans en 1960 à 59 ans dans la fin des années 1990 et 2000. C’est un public constitué, dont l’âge suit celui des premières générations de spectateurs.


Aujourd’hui, la moyenne d'âge est repassée à 42 ans. Un grand nombre de retraités et de jeunes donc, mais comme beaucoup de pratiques culturelles, la tranche d’âge qui fait un peu défection sont les trentenaires et les quadragénaires. Ce qui est étonnant, c'est l'importance que revêt l’événement pour les festivaliers, quel que soit leur âge. Quand les gens font une première fois cette expérience, ils y retournent toute leur vie. C’est pour cela qu’on vieillit avec le Festival d’Avignon.

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