top of page

Agnès Troly : « Un Festival d’Avignon sans polémique, ce ne serait pas le Festival d’Avignon »

Après neuf ans au Festival d’Avignon, la directrice de la programmation, Agnès Troly, quitte l’institution. Retour sur le travail artistique de celle qui a contribué à faire du IN l’un des plus prestigieux festivals de théâtre au monde.

Agnès Troly, directrice de la programmation du Festival d’Avignon, dans son bureau au Cloître Saint-Louis à Avignon le 1er juin. © Ludivine Angé


« Je vais enfin pouvoir me reposer. » Agnès Troly nous accueille dans son bureau avignonnais, dont la fenêtre donne sur la cour verdoyante du cloître Saint-Louis. C’est sa dernière édition en tant que directrice de programmation du Festival d’Avignon, et elle paraît sereine. Cheveux gris et chemise en lin beige, elle s’installe derrière son bureau en verre. Dans la pièce, un amas de livres de théâtre se bousculent. Un sourire discret ne quitte pas son visage.


Après avoir travaillé dans la communication au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, elle fonde sa maison de production avec un ami. C’est là qu’elle repère Olivier Py, 26 ans, alors à la tête d’une compagnie. Débute alors entre eux un « long compagnonnage ». Elle le suit en tant que directrice de programmation au Centre Dramatique National d’Orléans, au théâtre de l’Odéon à Paris et jusqu’au Festival d’Avignon, où elle officie depuis neuf ans. Elle sillonne alors le monde entier pour découvrir les nouveaux talents du spectacle vivant. Un travail passionnant, mais éreintant. Elle programme sur les trois semaines de l'événement, ce que d’autres programment sur une année ou deux. Penchée sur son carnet de notes, elle revient sur ses années au Festival d’Avignon.


Comment découvrez-vous les artistes ou les spectacles que vous programmez ?


C’est un travail en continu. Ça fait des années que je vais au théâtre au moins cinq fois par semaine et que je voyage aux quatre coins du monde. Ça me permet de découvrir beaucoup d’artistes. Mais je suis également de près le travail de certains artistes pour leur proposer de faire des créations originales à l’occasion du festival. Il ne faut pas oublier qu’il y en a beaucoup à Avignon, ce ne sont pas seulement des spectacles que j’ai vus.


Et comment choisissez-vous un artiste plutôt qu’un autre ?


Je décide avant tout de programmer un artiste pour son intérêt artistique. Il faut qu’il soit original, qu’il ne fasse pas les mêmes spectacles que ceux qu’on a déjà vu dix fois. Qu’il ait une certaine puissance, qu’il reflète son époque. Et je m’assure que les artistes que je programme aient une certaine solidité pour ne pas les exposer trop vite au public d’Avignon.


Que voulez-vous dire par là ?


C’est difficile de présenter une pièce au Festival d’Avignon. C’est une grande exposition, il y a de l’attente et une certaine tension. Le spectacle peut être mal reçu et ce n'est pas la peine de fragiliser des artistes trop jeunes, trop inexpérimentés ou qui seraient trop sensibles aux pressions. Il ne faut pas se rater.


Pourquoi une telle pression ?


Parce que le passage au festival a un gros impact sur la diffusion des spectacles. Il y a beaucoup de journalistes et de programmateurs présents. Par exemple, le metteur en scène Thomas Jolly a été révélé au public grâce à son premier passage à Avignon alors qu’il n’avait que 31 ans. Grâce au succès de sa mise en scène d’Henri VI de Shakespeare, il est revenu plus tard dans la cour d’honneur du Palais des papes pour présenter Thyeste de Sénèque.


Mais c’est aussi un tremplin pour des artistes déjà connus, comme Dimitri Papaioannou, un grand chorégraphe. Il m’a dit que son spectacle avait voyagé dans des pays où il n’était encore jamais allé avant sa programmation à Avignon.


« Il faut réveiller les esprits, les sensibilités »

En 2011, la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Castellucci présentait un vieil homme incontinent, lavé par son fils devant un portrait du Christ. La pièce avait beaucoup choqué à l’époque, est-ce que c’est ce que vous cherchez parfois ?


Je crois que le spectacle a été mal compris par une partie du public qui avait envie de mal le comprendre. Le scandale est surtout venu d’intégristes catholiques qui n’ont pas cherché plus loin que le bout de leur nez. Si on parle un peu avec Castellucci, on se rend compte que ce n’est pas quelqu’un qui crache sur le visage de Dieu, c’est tout le contraire.


Par ailleurs, je pense que les polémiques font partie du festival. Un Festival d’Avignon sans polémique, ce ne serait pas le Festival d’Avignon ! On ne peut pas être parfaits, faire du bien lisse, bien net, bien propre. Au contraire, il faut réveiller les esprits, les sensibilités. C’est ça le festival.


Ne pensez-vous pas que ces pièces font scandale parce que trop inaccessibles ?


C’est une idée reçue. La création c’est de la création. Qu’est-ce qui est trop pointu là-dedans ? Il y a des choses plus accessibles que d’autres, sans doute. Des choses plus difficiles que d’autres aussi. Mais dans les 45 spectacles que nous présentons au festival, il y en a beaucoup qui sont adaptés à tous les publics.


D’ailleurs, comment avez-vous choisi la thématique du festival cette année ?


On ne la décide pas en amont, parce que ce serait trop contraignant de choisir les spectacles en fonction de nos envies. Un thème se dégage naturellement une fois qu'on a programmé la majorité des spectacles, quelques mois avant le festival. En découvrant des pièces au fur et à mesure, on se rend compte que les artistes du monde entier traitent d’une même thématique au même moment. C’est étonnant, mais l’année dernière il y a eu par exemple beaucoup de propositions sur le genre. Là, il y avait beaucoup d’histoires qui se racontaient à travers les pièces, donc Olivier Py a décidé que la thématique serait « Il était une fois ».


Pourquoi selon vous cette thématique a-t-elle émergé cette année ?


Nous sommes dans une période où l’on a besoin de fictions, de mythes, pour raccommoder les maux du monde, qui se multiplient ces dernières années. La pandémie, la guerre, le climat, la montée des nationalismes…. On touche au bout d’une époque, et il va bien falloir repartir d’une façon différente. Il nous faut des fictions pour réfléchir.


Que pouvez-vous dire de cette dernière programmation du festival, pour vous et Olivier Py ?


Comme l’a dit Olivier, la programmation n’est ni récapitulative, ni commémorative. On l’a prise comme une édition parmi d’autres. Ce que je remarque c’est que beaucoup de gens me disent qu'il y a beaucoup de noms d’artistes qu’on ne connaît pas. Je trouve ça bien. C’est peut-être ça qu’il faut retenir.


Comments


bottom of page